Avertissement
Ce qui est transcrit ci-dessous est notre vécu subjectif. Profondément touchés par cette catastrophe, nous exprimons notre compassion à tous ceux qui l’ont vécu de près ou de loin. Les faits vont bien au-delà des écrits. Nous nous excusons d’avance pour ceux qui seraient choqués d’une interprétation fausse de ce qui est écrit ci-dessous ou des photos publiées qui ont toutes été prises par nous. Nous pansons toujours nos plaies.
Le 30 décembre, nous avons été rapatrié à bord d’un avion de l’armée thaï sur Bangkok. Là, la prise en charge était bonne. Nous avons pu parler par téléphone avec un employé de l’ambassade, un suisse romand autrement plus efficace que ceux envoyés à Phuket. Monica, quant à elle, a été en communication avec le représentant de l’ambassade du Pérou. Nous avons expliqué que nous recherchions un encadrement pour faire un débriefing sur ce que nous avions vécu. Ils se sont occupés de tout. Ils nous ont amené ensuite sur un campus universitaire qui servait de centre de secours. Nous y devions théoriquement passer la nuit. Là, nous sommes tombés sur les personnes qui recevaient les francophones. A peine nous leur avons dit que nous cherchions un encadrement qu’une des deux personnes nous a dit qu’il n’y avait pas de problème. Elle avait justement mentionnée aux autorités françaises qu’elle pouvait recevoir deux personnes chez elle. Ce fut une véritable aubaine. En attendant de partir avec Nindha et Laurent, notre famille d’accueil, nous avons pu parler avec des pompiers français spécialistes des catastrophes naturelles. Vincent et Dominique, deux personnes formidables qui nous ont beaucoup aidé. Et cerise sur le gâteau, un jeune suisse romand qui était en Thaïlande pour monter un projet humanitaire s’était également porté volontaire auprès de l’ambassade suisse pour aider et se trouvait là. Ca a fait du bien de pouvoir parler avec lui. Il vient de Neuchâtel et s’appelle Alexandre. Venu pour son projet, il aura finalement consacre le reste de son voyage (1 mois en tout) à l’aide au victime. Lui aussi peut témoigner mieux que personne du K.O. Nous avons appris par la suite qu’il était parti à Kao Lak, une des région les plus touchées par le tsunami, notamment pour procéder à l’identification des corps. Nous rendons HOMMAGE à son courage !
Si vous désirez soutenir un projet concret, nous vous invitons à le contacter : a_aubert@bluewin.ch
Nous nous sommes levés de bonne heure et après le petit déjeuner, nous avons loué un scooter pour visiter les différents hôpitaux. Nous nous sommes tout d’abord rendu au plus grand hôpital de l’île, le Vachira Phuket Hospital. Là-bas aussi ça grouillait de monde. Des volontaires thaïs vous accueillaient pour vous aider. Nous avons expliqué ce que nous venions faire : visiter les blessés occidentaux (car nous ne parlons pas le thaï) et leur apporter réconfort au besoin. Alors ils nous ont demandé de nous inscrire et de leur montrer nos passeports. Des cas de faux volontaires voleurs ont sévi dans les hôpitaux. Quelle tristesse ! . Nous nous sommes vites rendu compte que nous n’étions pas les seuls volontaires occidentaux. D’autre part une grande partie des blessés avaient déjà été rapatriés. Ceux que nous avons rencontrés attendaient pour la plus part de partir le jour même ou le lendemain. A notre retour dans le hall de l’hôpital, des gens recherchaient sur les listes Excel des noms de personnes disparues. Ils ne savaient pas vraiment utiliser ce programme alors nous nous sommes assis sur deux postes avec Monica et avons assisté ces personnes. Dans les environs du hall et du rez-de-chaussée régnait le même type d’ambiance qu’au centre de secours : vivres à volonté, Internet et téléphone gratuits, des gens dans tous les sens, des bénévoles (comme nous avec un badge en papier agrafé au t-shirt avec toutes les langues parlées), qui ne savaient que faire car pas dirigés, panneaux d’affichage remplis d’avis de disparition (cf. photo).
Dans la rue, alors que nous cherchions un endroit pour prendre notre petit déjeuner, une femme de type européenne maigre et musclée m’a interpellé en me demandant si j’étais suédois. J’ai eu un peu peur et j’ai répondu froidement par la négative. Puis elle a continué son chemin. Monica m’a alors dit qu’elle avait l’air hyper mal et que j’aurais du lui demander si elle avait besoin de quelque chose. Sur ces paroles, nous avons décidé de la rattraper et de lui demander si elle avait besoin d’aide. Elle avait en effet de quoi être mal. Elle s’était mariée le 25.12 sur la plage de Patong. Elle a perdu son mari, sa mère et son fils de deux ans. Elle nous raconta avec ses tripes, les larmes aux yeux comment elle n’a pu garder son fils dans les bras lorsque la vague l’a happée. Prenant, saisissant, insupportable. Elle était perdue, elle ne savait pas que faire. Les personnes de l’agence avec laquelle elle était venue en vacances, étaient rentrées le jour même pour la Suède car blessées. Elle avait son vol de retour prévu pour le lendemain. Il lui restait son père en Suède. Mais que faire ? Rentrer, rester, chercher ses disparus sans savoir s’ils ont été secourus. Et là encore, personne pour l’encadrer, pour l’aider, pour l’écouter, pour la conseiller. Nous lui avons suggéré de rentrer chez elle en Suède sachant qu’ici, elle ne pouvait plus faire grand-chose et était seule.
Vers 6h30, nous nous sommes réveillés. Que faire ? Nous sommes partis avec Yann en éclaireur pour estimer quelle était la situation. Nous avons contourné l’île pour rejoindre l’embarcadère. Cette partie de l’île a été moins touchée et le chemin était plus « passant ». Sur la route, c’était l’exode. Tout le monde, étrangers et thaïs, se dirigeait en direction de l’embarcadère. Il était noir de monde. Tous attendaient des bateaux pour partir pour Krabi ou Phuket. Là il y avait quelques « officiels » qui dirigeaient les gens sur les différents bateaux qui arrivaient. Ils ont aussi annoncé qu’il allait y avoir des bateaux toute la journée pour quitter l’île. Nous sommes rentrés par le centre de l’île qui était dévasté. Nous avons rencontré beaucoup de blessés. Ils avaient besoin d’aide pour rejoindre le lieu où l’évacuation des blessés se faisait par hélicoptère. Toujours aucun secours de masse n’était visible mais il y avait au moins trois hélicoptères qui faisaient la navette sur Phuket. Juste ça et là quelques personnes. La majorité (pour ne pas dire la totalité) des personnes qui transportaient les blessés (thaïs et étrangers) étaient des occidentaux. Avec Yann, nous ne nous sommes pas posés de question et avons aidé à transporter les blessés à bout de bras et sur des brancards de fortune. Des occidentaux ont pris en charge l’organisation des secours et ont notamment construits des civières avec des bambous, de la corde et des bâches plastiques. Adrien et Jimmy nous ont alors rejoint. Lorsque l’on arrivait à l’héliport avec des blessés, des cameras de télévision et des photographes filmaient et photographiaient tout, absolument tout, sans retenue. Il semblerait qu’eux avaient un hélicoptère spécialement affrété pour l’occasion. Lorsque l’on chargeait les blessés dans l’hélicoptère, nous pouvions lire la peur et la panique sur les visages des militaires. Le bordel, la panique face à une catastrophe dont personne ici n’avait la formation pour l’affronter.
A Phuket, ils nous ont donné à manger et à boire en attendant de prendre un bus qui allait nous amener au tristement célèbre (pour nous en tout cas) city Hall de Phuket. C’est là que les autorités Thaï ont installé le centre de secours. La logistique était bien organisée. Le deuxième jour après la catastrophe, il y avait de la nourriture et de la boisson distribuée gratuitement et en abondance, des vêtements, des écoles où l’on pouvait loger, le téléphone et l’Internet gratuits afin d’avertir nos familles et la procédure de remplacement de passeport était en place. Seul hic, il n’y avait pas vraiment quelqu’un pour organiser la prise en charge des victimes, le plus important à nos yeux ayant vécu le cataclysme. Monica a attendu dans les jardins à l’extérieur alors que je suis allé envoyer des emails et voir les autorités suisses. Des représentants des ambassades étaient sur place dans une grande pièce style salle de conférence. Je me suis faufilé entre les tables pour arriver à la numéro 13, celle qui disait « Switzerland ». Là étaient deux suisses romands d’un certain âge qui étaient sain et sauf mais qui avaient perdu toutes leurs affaires. Deux fonctionnaires de l’ambassade de Bangkok se trouvaient là. A mon arrivée, on ne m’a pas posé de questions spéciales. J’ai dit que j’étais Suisse … pas de réponse, j’ai vu alors la feuille A4 fédérale quadrillée pré imprimée avec nom,…, je suis simplement parti. J’ai envoyé plusieurs emails et répondu un message identique à ceux qui nous avaient écrit pour prendre des nouvelles. Je n’ai pas pu contenir mon émotion et des larmes se sont mises à couler, première décompression certainement. A ce moment là, le centre de secours grouillait de victimes qui étaient en besoin de papiers pour quitter au plus tôt le pays. Nombreux étaient également moyennement blessés. Dans l’intervalle, Adrien était allé voir pour un hôtel. Apres avoir terminé d’envoyer les emails, j’ai rejoint le groupe dans les jardins et nous sommes partis à l’hôtel.
Environ 10h30 du matin, je me fais réveiller par des pleurs incessants juste à l’extérieur du bungalow no 31 où nous dormions. La veille, nous avions dansé jusqu’à 2h00 du matin à l’Apache bar. Ca faisait depuis notre départ que ça ne nous était pas arrivé et en plus c’était Noël. En sortant du bungalow, j’ai vu une dizaine de personnes qui pleuraient, des femmes et des enfants. Ils regardaient en contrebas. Puis tous se mirent à courir en direction du sommet de la colline. Alors à ce moment, j’ai vu un homme thaï d’une certaine corpulence, le corps complètement mutilé, monter également en direction de notre bungalow. Les boules, j’ai eu un putain de sentiment dans la gorge. J’ai d’abord cru à une insurrection civile. Il y avait un bruit pas possible qui venait depuis le bas. Un mélange de vrombissements, de cris, de bruit de tôles qui s’entrechoquaient. Là j’ai réveillé Monica et je lui ai dit : « Réveille-toi Chi, il se passe quelque chose de grave, mais je ne sais pas ce que c’est ». Puis je suis ressorti. A ce moment sont passés des francophones qui se dirigeaient également en haut de la colline. Je leur ai demandé ce qu’il s’était passé. Une dame m’a répondu : « Quoi ? Vous venez de vous réveiller ? J’ai répondu : « Oui ». Alors elle m’a répliqué qu’il y avait eu un tremblement de terre suivi d’un raz de marée ravageant l’île et qu’il continuait à monter. Soudainement un vrombissement encore plus fort se fit entendre et je vis l’eau, charriant les décombres, se rapprocher des bungalows qui étaient en contrebas.
Nous avons décidé alors de chercher de la boisson pour l’amener au sommet de la colline pour tous les blessés et les autres qui commençaient à souffrir de déshydratation. Nous avons cherché un supermarché qui se trouvait non loin de là, et par derrière, nous avons trouvé, dans les décombres qui avaient enfoncé et éventré le bâtiment, de la boisson. Nous avons rempli un grand sac et nous sommes remontés par le côté facile. Une fois en haut, les rumeurs allaient bon train sur ce qu’il s’était passé et sur ce qu’il pouvait encore se passer. Dès lors, nous ne nous sommes plus séparés avec les deux français, Adrien et Yann. Après quelques instants, nous sommes redescendus à notre bungalow. Là nous nous sommes installés. Il y avait une fille mexicaine qui se faisait soigner par un belge ainsi qu’un couple hongrois qui avait échappé de justesse à la mort en pouvant nager dans l’amas de boue eau, un miracle. Nous avons aidé à soigner la mexicaine qui était ici en lune de miel (son mari est disparu) et nous avons apporté du soutien au couple hongrois. La femme était traumatisée. Elle a par chance pu agripper la jambe de son mari alors qu’elle était sous l’eau, puis a agrippé sa ceinture et s’est sauvée ainsi. Ils étaient déjà venus à Phi Phi, il y a deux ans. L’homme avait alors perdu sa sœur et avait dû écourter leur séjour. Cette île leur a vraiment porté malheur. Durant l’après-midi, nous avons encore soigné des gens qui passaient par là. 

Le Wat Phra Kaew ou le temple du Bouddha d’émeraude. Thaïs faisant des offrandes et priant. En arrière plan statue géante d’un des gardiens surveillant les entrées de l’enceinte du temple